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mardi 5 juillet 2016

BEUIL, UNE COMMUNAUTÉ SOLIDAIRE DANS LA TOURMENTE




Michel Remy, le 27 juin 2016, RCN


Michel Remy, professeur émérite des universités, qui réside à Beuil, nous a fait l’amitié de venir nous parler à l’antenne de RCN de son village et des recherches qu’il a entreprises.

Un lieu chargé d’histoire…


Beuil


« Beuil a gagné son indépendance par toute une série d’alliances et de mariages. C’est Louis XIV qui a mis fin à ce statut dans les années 1600. C'est un village  médiéval, il n’y a pratiquement aucun bâtiment moderne. 


Un village médiéval

C’est un village magnifiquement conservé. Depuis que je m’y suis installé, je me suis intéressé à l’histoire de Beuil. Lors d’une exposition que j’avais organisée très récemment sur la Résistance à Beuil où il y avait un maquis très important, j’ai découvert que Beuil avait joué un rôle déterminant dans le sauvetage de nombreuses familles juives. C’est ce qui m’a donné l’idée de développer cette recherche grâce à des témoignages et des entretiens avec les gens du village qui, encore à l’heure actuelle, se souviennent de cette période.


Plaque



L’Occupation s’articule en gros autour de ce fameux septembre noir de 1943. Avant, il y a eu, comme à Nice, l’occupation des Italiens qui ne sont même pas montés à Beuil véritablement. La situation était donc relativement calme. En septembre 1943, lors des rafles organisées par le sinistre Aloïs Brunner à Nice, de nombreuses familles juives qui, auparavant dans les années 30 avaient l’habitude d’aller passer des vacances à Beuil, se sont sauvées quasi en masse, si je puis dire, dans les villages de l’arrière-pays, dont Beuil. De septembre 1943 à juin 1944, les familles ont été cachées, ont été hébergées et malgré la montée relativement fréquente – à peu près une fois par mois – d’une voiture de la Gestapo pour faire une enquête ou des choses de ce genre, le village a gardé une sorte de liberté « surveillée ». Dès juin 1944, après le débarquement de Normandie, le maquis s’est installé à Beuil et là, les habitants et les familles de réfugiés ont été un peu plus tranquilles parce que le maquis avait pris position dans le village de Beuil lui-même. En outre, les Allemands, très occupés à d’autres tâches, sont montés beaucoup moins fréquemment.

Un lieu stratégique


La route qui mène à Beuil

Beuil se trouve sur la route qui monte de Touët-sur-Var par les gorges du Cians. Après Beuil, si on continue, on arrive à Valberg et on redescend par Guillaumes sur les gorges de Daluis. Il y a donc là une sorte de boucle qui  est tout à fait propice à la défense. Les gorges du Cians sont extrêmement étroites et un groupe d’une vingtaine de maquisards peut très bien arrêter une troupe de 200, voire de 300 envahisseurs.
Le village est sur un promontoire rocheux et derrière le village il y a les forêts de mélèzes et surtout les granges des habitants. L’hiver, les habitants passaient leurs journées dans le village à réparer tel ou tel élément de leur maison. Dès le printemps, ils  montaient avec leurs bêtes vers les estives – les granges qu’ils avaient à droite et à gauche. Cela permettait d’utiliser les granges comme lieux de refuge, comme lieux de caches.


La forêt toute proche

Des héros discrets

Lors de mes entretiens et de mes recherches, les gens n’ont absolument pas tiré gloire de ce qu'ils avaient fait pendant la guerre. Il y a eu quand même deux ou trois personnes qui sont sorties du lot, mais je ne voudrais pas qu’elles occultent le rôle « obscur », mais néanmoins essentiel, des paysans, des fermiers et des habitants de Beuil. La personne peut-être la plus importante était quelqu’un qui s’appelait Sébastien Di Carlo et qui était le propriétaire d’un hôtel qui existe toujours d’ailleurs, l’hôtel du Cians. C’est un très grand hôtel dont le premier étage, à partir de juin 1944, a été réservé au Maquis. Les deuxième et troisième étages étaient occupés par des familles juives  qui s’étaient enfuies de Nice. Cet hôtel est adossé à la colline, ce qui permettait aux personnes de sauter par la fenêtre en cas d’alerte. L’hôtel du Cians avait également aménagé une cache à l’intérieur au cas ou quelqu’un se serait laissé surprendre. Dernière chose, les enfants de Di Carlo qui habitent toujours Beuil, étaient postés au dernier étage de l’hôtel d’où on a une vue panoramique sur la sortie des gorges du Cians. On pouvait donc voir les voitures de la Gestapo ou de la milice monter. Les personnes qui s’en souviennent m’ont rapporté  que ces voitures étaient tout à fait reconnaissables parce que les jantes de ces Citroën étaient jaunes. À la moindre alerte, les réfugiés pouvaient aller se cacher dans les granges ou dans la forêt.

Le « docteur miracle »

Le docteur Wiener, le papa de la romancière Michèle Kahn, s’est réfugié à Nice dès le 10 septembre 1943. Raflé dans un premier temps, il est parvenu à s’enfuir grâce à la complicité d’un commissaire de police qui faisait partie de la Résistance. Le docteur Wiener s’est réfugié avec 7 autres membres de sa famille à Beuil. La petite Michèle Kahn a donc vécu au village à partir de septembre 1943 jusqu’après la libération. Son papa est devenu extrêmement célèbre dans toute la région et il a été surnommé « le docteur miracle ». Il a soigné énormément de gens en exerçant illégalement sa profession. La trace qu’il a laissée est absolument indélébile tant il a montré de courage et de dévouement. Michèle Kahn nous raconte cela dans son dernier roman,  Un soir à Sanary où une soixantaine de pages sont consacrées à Beuil. Les Wiener étaient hébergés par la famille Pourchier dont le père à ce moment-là était lieutenant-colonel. À la suite d’une dénonciation, il a été arrêté, déporté et exécuté au Struthof.

Michèle Kahn de retour à Beuil




C’est à la suite d’une série de circonstances  assez complexes que Michèle Kahn a appris que j’avais fait des recherches à propos des familles juives réfugiées à Beuil pendant la guerre. Prenant contact avec moi, elle a ensuite manifesté le désir de venir à Beuil pour se remémorer l’atmosphère et les paysages de sa petite enfance. À l’époque, elle terminait Un soir à Sanary. Elle a donc passé trois jours à Beuil et elle a rencontré toutes ces vieilles personnes dont elle avait entendu parler et qui avaient joué un rôle, sans le savoir d’ailleurs, pendant la guerre. Cela a été un rendez-vous particulièrement émouvant pour les habitants qui, 70 ans après, avaient les larmes aux yeux en la voyant. Elle a terminé son roman à Beuil et elle a promis qu’elle viendrait faire une signature au moment de la sortie. 


Michèle Kahn

Elle est donc arrivée au mois de mai et une réception a été organisée par monsieur le Maire, Stéphane Simonini, un maire extrêmement éclairé et totalement impliqué. Au moment de la signature, elle a offert au village, le brassard FFI de son papa. Ces retrouvailles furent l’occasion d’échanges touchants et saisissants.


Michèle Kahn remet à Stéphane Simonini, maire de Beuil, 
le brassard du docteur Wiener

Un comportement d’exception

Comment se fait-il que Beuil, avec 350 habitants à ce moment-là, ait pu sauver 110 à 120 personnes juives sans qu’il y ait jamais le moindre souci d’une éventuelle dénonciation ou de délation ? La réponse a été toujours la même. On me dit « mais écoutez, qu’est-ce que vous vouliez qu’on fasse, il y avait des enfants, on ne pouvait pas faire autrement. Et puis, ces pauvres gens qui étaient là, c’était à nous de les sauver ». Il est vrai que  Beuil, avec cette tradition d’indépendance, de fierté, a toujours voulu garder son identité. Hier encore, j’interviewais une vieille personne qui m’a déclaré que tout le monde était solidaire et avait fait preuve d’une extraordinaire humanité.

Un dossier déposé auprès de Yad Vashem

Le dossier me semble pas trop mal engagé. J’ai rassemblé les souvenirs des sauveurs et j’ai essayé de les faire correspondre aux souvenirs des sauvés. J’ai une dizaine de familles juives qui m’ont envoyé des témoignages qui coïncident avec les déclarations des personnes qui vivent encore à Beuil. J’ai quelques problèmes avec certaines familles dont je ne parviens pas à retrouver les descendants ou même le moindre nom. En particulier, il y a trois familles que j’aimerais bien contacter, les familles Chiprout, Grolleau et Ismuc. Le dossier avance, je pense que cela sera bouclé pour le mois de septembre et là, j’aimerais que Beuil soit effectivement salué, reconnu comme étant un village de Justes. Nous essayons également de contacter la famille de Nina Companeez, hébergée à Beuil, mais 70 ans après, ce n’est pas très facile.

La petite Mimi le 14 juillet 1944


Un mois après le débarquement de Provence

La photo où l’on voit Michèle Kahn, la petite Mimi, se trouve sur la place de l’église, c’est le 14 juillet 1944 lorsqu’a été proclamée la République de Beuil et où étaient présents tout le village de Beuil avec les FFI. Au premier rang, Michèle Kahn, une petite blondinette en robe blanche. C’est très émouvant. »


La petite Mimi au premier rang, au centre de la photo

Un soir à Sanary, extraits



« Durant le trajet, les gens répétaient les hauts faits de leur bon docteur comme racontant des légendes, chacun y allant de la sienne. Il a dépanné  la boulangère qui s’était planté un hameçon dans le nez. Il a sauvé le bras droit du petit Henri Dahon. Henri s’amusait à la barrière, la barrière est partie et le gamin avec. Coude cassé.  Comme plusieurs mois étaient passés sans amélioration, le médecin a voulu l’amputer. La mère s’est donc adressée au docteur Wiener, qui l’avait – illégalement bien sûr – soignée d’une diphtérie, pour lui demander conseil. Celui-ci l’a envoyée consulter un médecin à Nice, qui a opéré Henri. Au retour, Sali a fait faire au gamin des mouvements de rééducation. Maintenant Henri a les deux bras vifs  comme des ailes de moulin.
On raconta aussi comment le docteur se faufilait dans les sentiers, afin de n’être vu de personne, lorsqu’il allait soigner des malades à Valberg. Il a sauvé Maryse Guibert, qui à trois mois vomissait du sang parce que, a-t-il découvert, une portion d’intestin lui était entrée dans une autre portion. Et il a sauvé le fils d’un berger dont j’ai oublié le nom. Appelé un soir d’hiver dans la ferme si éloignée de tout qu’il n’a pas pu s’y rendre qu’avec des raquettes, le jeune médecin de trente ans a trouvé un bébé suffocant sous quarante degrés de fièvre. L’enfant risquait de ne pas atteindre le bout de la nuit, et le long transport vers l’hôpital ne pouvait que lui être fatal. Tremblant de ce qu’il osait faire, il a roulé le bébé dans la neige puis l’a veillé jusqu’au matin. La fièvre est alors tombée.
Un passager du car a dit que c’était quelqu’un qui aimait les gens, et tous ont approuvé. D’ailleurs, a ajouté une paysanne qui veillait sur un énorme panier de champignons, il était connu comme le loup blanc.
Dire qu’à l’origine il est venu ici pour se cacher ! »

Un soir à Sanary, Michèle Kahn, Le Passage, 2016, p. 92.

« L’hiver est rude à Beuil. Tonnes de neige pendant quatre mois. Je me suis rompu les reins et tétanisé les muscles en déneigeant devant chez nous. Cependant chaque flocon me semblait être une plume d’ange. Ces masses de plumes formaient un édredon superbe et salutaire, qui nous protégeait de l’ennemi. Avec un peu de chance, il nous couvrirait jusqu’au débarquement allié tant espéré… En promenade dans la forêt, nous écoutions pleins de bonheur les branches craquer sous le poids de la neige. »

Un soir à Sanary, Michèle Kahn, Le Passage, 2016, p. 109.

« Dans les familles beuilloises aussi, on s’est dévoué. Une famille Garnier cachait dans sa campagne de Saint-Pierre deux enfants juifs dont les parents demeuraient à Beuil. Leur charmante fille Marie-Louise Garnier, qui effectuait chaque jour l’aller-retour pour fréquenter l’école de Beuil, savait qu’il fallait n’en souffler mot à personne. Alors qu’elle aurait pu partager son expérience avec sa copine Simone Chaix, qui a tous les repas voyait quatre ou cinq réfugiés juifs à la table de famille. Ou avec son copain Clément Pourchier dont le cousin Ernest Féraud hébergeait une famille entière dans une chambre en haut de sa maison.
Face à des gens pareils, on se sent avare, mesquin, de n’avoir sauvé que sa propre peau. »

Un soir à Sanary, Michèle Kahn, Le Passage, 2016, p. 118.


Pour consulter le site de Beuil, cliquez ici 

Entretien, photographies et mise en page : 
Jacques Lefebvre-Linetzky








2 commentaires:

  1. très intéressant Beuil est un village que j'aime beaucoup ayant loué pendant plusieurs années un appartement dans le village (1967-1972). Etant moi même juive j;ai été très étonnée en lisant le livre de Michèle Kahn .En effet je n'ai jamais su que Beuil est village de justes ?Votre blog me donne la réponse et j'aimerais être alertée de la date de la cérémonie.C'est un sujet qui me touche j'ai déjà participé èla marche du souvenir à Saint Martin de Vesubie ?merci voici mes coodonnés

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  2. Merci de ce commentaire. Nous ne manquerons pas de publier un commentaire ici dès que nous en saurons davantage sur ce dossier, et sur la reconnaissance que ce village devrait recevoir.

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