Ceci est notre logo

Ceci est notre logo

mercredi 28 janvier 2015

NICE AMÈRE SAISON : Fiction et Histoire




Image empruntée ici


Auschwitz, il y a 70 ans...

Nous sommes le 27 janvier 2015. Le 27 janvier 1945, l’Armée rouge libère Auschwitz, c’était il y a 70 ans. Les Soviétiques découvrent quelques 7000 survivants aux yeux perdus dans la nuit de l’horreur. Leurs corps décharnés, meurtris par les coups, s’accrochent aux grilles sous le regard médusé de leurs libérateurs. Les SS ont évacué le camp dix jours plus tôt, emmenant avec eux une cohorte de 60 000 prisonniers. Des dizaines de milliers ne survivront pas à cette marche de la mort.
Chaque décennie marque un jalon important. Ce 70e anniversaire bénéficie d’une couverture médiatique exceptionnelle - le nombre de rescapés s’amenuise. On compte environ 500 000 survivants dans le monde et environ 190 000 vivent en Israël. Il y a 10 ans, 1500 rescapés s’étaient rendus en Pologne, cette année, ils ne seront pas plus de 300. Combien seront-ils dans 10 ans ?
Les assassinats perpétrés dans notre pays, au début du mois, donnent une résonance particulière aux cérémonies qui ont lieu partout dans le pays.

Depuis le début du mois, la chaîne Arte a proposé une sélection de documentaires pour commémorer cet anniversaire. Voir le lien ici 

Et à partir du 26 janvier, France 2 a présenté, Jusqu’au dernier, la destruction des Juifs d’Europe,  une série de 8 films, réalisée par William Karel et Blanche Finger,  série qui explore l’histoire de la destruction des Juifs d’Europe.

Voir le site ici 

À voir encore pendant 5 jours sur pluzz.francetv.fr. Voir le site ici

38 pays ont été représentés à Auschwitz pour rendre hommage aux victimes. Trois survivants ont pris la parole  ainsi que Ronald Lauder, président du Congrès Juif Mondial, qui  s'est exprimé avec force : "L'antisémitisme du monde a mené à Auschwitz - ne laissez pas tout cela se répéter - ne laissez pas cela se répéter."

~~~~

C'est cet anniversaire qui nous a incité à parler d'un roman qui traite de la vie quotidienne de deux petites jeunes filles, à Nice sous l'Occupation. À Nice, elles eurent la chance de vivre à peu près paisiblement jusqu'en septembre 1943, mais à compter de cette date, la situation prit une autre tournure...


Nice, amère saison, le sourire et la terreur, Éditions de L’Amandier, 2010.

J.L + L :
J'ai choisi de vous parler d’un livre qui m'a touché, ému. Il s’agit du roman écrit par Huguette Hatem et Laurence James, intitulé, Nice, amère saison, le sourire et la terreur. C’est un roman écrit à quatre mains et à deux voix qui raconte l’histoire d’une amitié entre deux jeunes filles, Lia est juive et vient de Paris, Christiane est catholique et vient de l’arrière-pays niçois. Chacune découvre l’univers de l’autre à Nice, sous la férule de l’occupant. Leur amitié est faite d’échanges, de partages et de découvertes tandis qu’elles sont frôlées par la folie meurtrière des barbares. Elles ont la fraîcheur de leur adolescence ; elles sont naïves, mais c’est une naïveté empreinte de gravité, au fil des pages, au fil des années. On y découvre Nice sous l’Occupation, une ville qui prend vie sous nos yeux grâce à une multitude de détails du quotidien. Cela sonne juste et vrai. Autour de ces deux jeunes filles gravitent des personnages tantôt attachants, tantôt inquiétants, jamais caricaturaux. Ainsi, on sent vibrer la vie au rythme des grandes dates de l’Histoire. Christiane sauve son amie juive alors qu’au début de l’histoire, elle ne savait même pas ce que Juif voulait dire…


Les deux auteures :


Huguette Hatem a vécu entre Paris et Nice. Elle a enseigné la littérature italienne et publié de nombreuses traductions. Elle est aussi comédienne.



Laurence James a enseigné à l’Université de Nice et publié des articles et un ouvrage de stylistique.
(quatrième de couverture)

Huguette Hatem et Laurence James ont bien voulu répondre à quelques questions à propos de leur roman (entretien: Jacques Lefebvre-Linetzky) :





Je me suis tout d'abord demandé ce qui fait l’originalité de ce roman. 

-      L'amitié entre les deux jeunes filles, tout d'abord : elles sont différentes de par leur culture, leur religion et leur arrière-plan familial. Elles évoluent et ne sont pas statiques psychologiquement. Elles partagent leurs découvertes, elles s’ouvrent au monde. Elles quittent une certaine naïveté pour devenir clairvoyantes. 
   Des regards croisés : le roman est construit sur une alternance de points de vue. Le lecteur n’a aucun mal à repérer chaque voix. Lia est un portrait miroir d’Huguette. Christiane est plus éloignée de la petite fille qu’était Laurence à l’époque, pas vraiment consciente de tout ce qui se passait autour d’elle. "Je n'en saisissais que des bribes, filtrées par le silence des adultes."
-       Une minutieuse reconstitution : le roman suit la chronologie des événements année après année, jusqu’à la Libération. Le texte fourmille de détails signifiants qui restituent l’air du temps.
-      Un charme mystérieux en raison de la fraîcheur des deux héroïnes.

-    Ce n'est pas un roman de plus sur la guerre et l'Occupation. Il y a une écriture et une construction. L’écriture à quatre mains est un exercice exigeant. Voici ce que nous disent les deux auteures à qui j’avais posé la question du lissage de l’écriture entre les deux points de vue :

       L : Nous n'avions pas du tout l'intention de "lisser l'écriture" ! Au contraire je  souhaitais que chaque point de vue soit exprimé avec une voix différente. Mais comme nous avons toutes les deux une même formation universitaire et que nous nous sommes mutuellement corrigées en ce qui concerne le style, nous avons sans doute gommé les différences sans nous en rendre compte.

       H : Nous avons  beaucoup gommé. La rédaction  s’étale sur quatre ou cinq ans. Notre méthode  a été empirique, nous ne savions pas à l’avance comment nous allions travailler. Lorsque nous avons fini, le livre était trop long (700 pages) nous avons dû couper des passages. Dans la première version nous  partions de septembre 1939 et non d’octobre 40.

Que dire de l’ancrage historique ?

      Selon Laurence et Huguette, ce fut à la fois une contrainte et une nécessité : L’ancrage historique a été à la fois une contrainte et une nécessité. Une contrainte pour ne pas nous perdre  dans les dates, ne pas fausser la partie historique, et en même temps une nécessité : c’est l’ancrage historique avec malheureusement son enfoncement dans la tragédie qui en fait  l’architecture et donne du nerf à l’ouvrage. Nous avons énormément utilisé les journaux de l’époque. Laurence a passé plusieurs mois à  Nice à dépouiller les quotidiens. Elle a pu avoir accès aux archives du Musée de la Résistance azuréenne, en particulier pour l'évocation des maquisards et des épisodes militaires liés à la Libération. Nous avons toutes les deux lu de nombreux ouvrages sur la période et en particulier les travaux du Professeur Panicacci, spécialiste de la Deuxième Guerre mondiale dans le sud-est.



Le tricotage des détails est essentiel. Huguette n’a pas eu à faire remonter les souvenirs. Ils étaient là, présents dans sa mémoire. Laurence s’est livrée à des recherches minutieuses: 

J'ai cherché énormément de détails authentiques dans des articles en apparence peu importants: les rations annoncées, les règles imposées aux paysans et aux commerçants, les recommandations à la population et aux écoles, les dates des rentrées scolaires, l'organisation des manifestations par Vichy, les discours, les condamnations pour marché noir, par exemple

Elles ont abondamment utilisé les journaux de l’époque. Laurence a pu avoir accès aux archives du Musée de la Résistance azuréenne, en particulier pour l'évocation des maquisards et des épisodes militaires liés à la Libération.

Un roman repose également sur la présence de personnages secondaires crédibles. Quelle place ont-ils dans la narration ?

   Une place essentielle, nous disent-elles. Ils constituent le relief de la narration. C’est souvent à travers eux que l’histoire « sonne » juste. Ils donnent de l’épaisseur. Leur présence est fonction de la durée et de l'importance des événements auxquels ils sont liés. Le boulanger d’origine italienne, la mère d’une amie de lycée au bras d’un officier nazi, la surveillante générale du lycée, le papa de Lia, celui de Christiane, les maquisards, les jeunes traqués par le STO… la vieille dame qui apprend à Christiane à jouer aux échecs… Huguette aurait préféré faire du jeune milicien un personnage abject, Laurence a préféré en faire un personnage trouble.

Quels sont les lieux de l’histoire ?

      Nice, en premier lieu et à l’intérieur de la ville, les quartiers : le boulevard Gambetta, L’Eglise russe, la boulangerie, le lycée de jeunes filles, l’appartement où loge Lia. Ensuite, il y a l’arrière-pays : la ferme des parents de Christiane, les espaces où se cachent les maquisards et le moment de liberté où Lia découvre les chants et la vie en plein air avec les éclaireurs juifs. La boulangerie est un lieu stratégique. Laurence insiste bien là-dessus : 

   Je trouve qu'une boulangerie était un lieu stratégique car tout le monde était obligé de s'y rendre, tous les jours. Elle reflétait bien la vie quotidienne de la population. De plus mes parents étaient boulangers et j'ai pu utiliser des souvenirs concrets, sans pour autant représenter ma propre famille à travers les Tosella.

Comment les auteures ont-elles abordé l’horreur des persécutions et de la barbarie de l’occupant ? On perçoit le danger, la menace qui se rapproche de la famille de Lia, la lourdeur du quotidien infesté par la délation et les rafles ; la mort est présente – la mort du maquisard et surtout la mort de Torrin et Grassi :

    : C’est un souvenir d’horreur très vif.  Ma mère était rentrée terrifiée de cette barbarie. Je ne peux pas oublier la jeunesse de ces  deux  martyrs qui nous ont fait prendre conscience de tout ce qui se passait  autour de nous.

     : Oui, nous avons évité les détails horribles. En ce qui      concerne la pendaison de Torrin et Grassi, je l'ai racontée telle que je l'ai vue moi-même. D'autre part, nous avons voulu écrire à partir du point de vue des deux fillettes, c'est-à-dire avec les connaissances permises par la situation.

Que suggère le titre, me suis-je demandé ?

C’est un titre délibérément long, presque explicatif. J’aime bien le terme « saison »  car cela renvoie à ce qui est essentiel à la vie de Nice, la saison touristique, la saison estivale. Bien sûr, ici, elle est amère. Et puis il y un corollaire, le sourire et la terreur qui désigne le thème essentiel du roman, ce mélange subtil entre le sourire de l’enfance et la terreur de la guerre. Le roman est aussi un cheminement de la naïveté vers la clairvoyance . 

H : La clairvoyance, c’est maintenant que nous l’avons. Le plus difficile justement a été de ne pas être clairvoyantes au début de notre livre, de  l’oublier,  car nous avons tenu à ce que les personnages ne sachent rien de ce que nous avons appris par la suite et que l’on ne pouvait pas savoir à l’époque. C’est pourquoi les paroles  de Lia  à la fin du livre sont «  quand Jeanine reviendra » alors que le lecteur sait pertinemment qu’elle n’est pas revenue puisqu’il a lu la dédicace du livre qui nous apprend qu’elle est morte  à neuf ans à Auschwitz.
L : Pour Christiane j'ai dû m'appuyer sur des éléments propres à l'aider à comprendre ce qui se passait, en particulier sur le sort de Lia.

Le roman est dédié à Jeanine Cassin, une petite fille morte à Auschwitz à l’âge de 9 ans, que sait-on d’elle ?
Huguette m’a communiqué cette information :

H : Son père, Ernest Cassin, grand gazé  de 14-18, était le cousin germain de René Cassin. Mais René Cassin et lui ne se voyaient pas.  Jeanine était douée pour la danse, très aimée de sa maman ; les circonstances de son arrestation sont exactes  dans le livre.  Sa famille était pauvre. Son père ne trouvait pas de travail ; ils habitaient un deux  pièces à Magnan et elle avait peu de jouets,  mais sa mère  et ses grands-parents l’adoraient. Et elle adorait son père, qui était pourtant sévère avec elle. Elle a eu une pauvre petite vie.

Il faut donc recommander la lecture de ce livre :
Parce que c’est une belle histoire qui peut toucher de nombreuses générations. Parce que la fiction féconde l’histoire et réciproquement. Parce qu’il faut continuer à raconter, à transmettre pour nourrir la réflexion et lutter contre l’obscurantisme.

Quelques extraits de Nice, amère saison, le sourire et la terreur, (Éditions de l’Amandier, 2010) pour vous donner envie de lire ce roman :

« Depuis presque deux mois Lia s’interrogeait sur cette compagne qui s’intéressait à elle. Elle avait perdu de vue ses chères amies de Paris, Édith au bel appareil dentaire et Josette qui haïssait les communistes. Et puis, il y avait Solange, la fille de la voisine qui du haut de ses sept ans inventait toujours de nouveaux jeux. À Nice elle se sentait coupée de ses racines, coupée de son enfance. Christiane serait-elle pour elle une nouvelle Solange ? Les temps étaient changés. Il n’était plus possible de se lier aussi facilement. Christiane portait une petite croix autour du cou. Était-elle croyante ? Pétainiste ? (L’entourage de Lia et elle-même prononçaient « pétiniste ».) Elle ne savait que penser. Pourtant, le visage ouvert de Christiane, son air franc, ses manières carrées séduisaient Lia. » p. 33.

« Tandis que Christiane rangeait ses affaires, sa grand-mère énumérait les dernières nouvelles, s’interrompant souvent pour soupirer ou hocher de la tête : l’oncle François avait écrit qu’il avait été transféré dans une ferme où il y avait déjà deux prisonniers, mais il ne précisait pas l’endroit, sans doute cela lui était interdit. La mère de Christiane était fatiguée, elle toussait mais elle ne voulait pas rester au chaud, ah, elle avait la tête dure. Et puis les services du ravitaillement apportaient bien des soucis. Pour obtenir des semences, on devait remplir un tas de papiers à la mairie, ensuite il faudrait livrer des œufs, des volailles et des lapins, déjà qu’on n’en avait pas assez ! »
p. 205.

« Cependant leur inquiétude augmentait pour différentes raisons. La nuit, Lia entendit une fois de plus discuter : l’argent manquait. La somme perçue grâce à la vente de la broche en diamants ornée de deux émeraudes que Lise avait reçue de son père en se mariant, les quelques billets qu’Oscar Bihal rapportait de temps à autre en échange de services qu’il rendait à des commerçants de sa connaissance, en tenant leur comptabilité, en assurant une permanence dans leur magasin, et les maigres gains dus aux travaux d’aiguille de Lise, suffisaient juste à maintenir chichement l’équilibre de la famille. »
p. 345.

« Les vacances avaient été abrégées du 5 au 11 avril. Il fut décidé que Lia ne reviendrait pas chez elle. La Supérieure la convoqua et lui expliqua qu’en raison des circonstances elle était admise à demeurer avec quelques élèves à la pension. À la récréation, une de ses camarades, une grande brune très rieuse dit à Lia qu’elle aussi resterait à Pâques.
  –   De quelle religion tu es ? demanda-t-elle à brûle-pourpoint à Lia.
  –   Catholique, répondit aussitôt Lia.
  –   Mais avant d’être catholique tu étais quoi ? »
p. 367.

« Une atmosphère irréelle régnait dans la ville affaissée et à moitié vidée de ses habitants. Ceux qui étaient restés guettaient l’occupant à travers des persiennes fermées. Les soldats allemands qui continuaient de défiler en claquant leurs bottes, vers des places où on avait installé des blockhaus, dans des rues qui menaient à des plages encombrées de barbelés, faisaient penser à ces personnages dont on remonte le système mécanique avec une clé et qui, renversés, s’agitent encore. »
p. 445.

« Le soleil tapait dru et elle longeait les façades pour trouver de l’ombre. Elle remarqua alors quelque chose de bizarre : les passants qui avançaient dans la direction inverse se retournaient souvent, jetant des coups d’œil par-dessus l’épaule ; ils semblaient regarder au loin puis échanger quelques paroles et marchaient d’un pas hâtif. Christiane leva les yeux et se rendit compte qu’une petite foule était massée au bout de la rue, à l’intersection de l’avenue de la Victoire. Cette foule n’était pas immobile mais constituée de groupes en mouvement qui, après être arrivés et s’être arrêtés, repartaient. Le plus étrange était que ces déplacements s’effectuaient en silence. Continuant à avancer, Christiane distingua une forme vague au-dessus des têtes, une forme qui, au fur et à mesure qu’elle s’approchait, ressemblait de plus en plus à un corps suspendu au dessous- du réverbère qui marquait l’angle des voies, près des Galeries Lafayette. »
p. 464.

Nous tenons à remercier chaleureusement Mme Jonesco, ainsi que Mme Odile Chapel, directrice de la Cinémathèque de Nice pour la mise à disposition des deux photos de la Collection Gaston Jonesco Dauphin.








mercredi 14 janvier 2015

NOTRE ABÉCÉDAIRE



Nous commencerons ce billet par quelques annonces 
et informations utiles 


Le dimanche 18 janvier, à 14 heures, aura lieu au Centre Kling, à Nice, une conférence-débat avec Paul Amar. Il y dédicacera son dernier livre "Blessures", qui est très en rapport avec les événements que nous venons de vivre.



Le mercredi 21 janvier 2015 à 17h30 se tiendra l'Assemblée Générale de notre association. Cela aura lieu à la Maison des Associations, Place Garibaldi, à Nice. Nous y présenterons le compte-rendu de nos activités, le compte-rendu financier, et nos projets pour l'année 2015. Chacun est le bienvenu, pour nous aider dans nos recherches, ou simplement pour nous soutenir. Vous pouvez nous soutenir encore plus efficacement en adhérant à notre association. L'adhésion de 25 € donne droit à un CERFA. Celui-ci est également délivré pour tout don d'un montant supérieur, englobant la cotisation.  

Le mardi 27 janvier, à Cannes, le Lycée Carnot célèbrera le 70ème anniversaire de la Journée internationale de "commémoration en mémoire des victimes de l'Holocauste et de la prévention des crimes comme l'humanité." Roger Wolman, qui a beaucoup œuvré pour les recherches effectuées dans ce lycée, y représentera l'AMEJDAM aux côtés d'autres membres de l'association, et de notre Présidente, Michèle Merowka. 

~~~~~

Photo confiée par David Nakache

Nous avons voulu illustrer les événements tragiques de la semaine dernière à l’aide d’un certain nombre de termes pertinents, dont les initiales suivront celles de notre association, l’AMEJDAM. Ils récapituleront ainsi clairement nos positions et la manière dont nous envisageons l’avenir, que nous souhaitons plus paisible à vous tous qui nous écoutez, et à notre République toute entière. Commençons donc par le commencement, avec le A.

A. comme amalgame : Amalgame, dont l’une des définitions est la fusion de différents corps, ou bien l’association abusive de personnes, de groupes ou d’actions de nature différente.
Aujourd’hui, demain et après-demain, il conviendra de n’y recourir d’aucune manière. Nous avons nous-mêmes refusé d’être amalgamés de façon abusive, nous nous garderons donc d’en faire autant à l’égard des autres. Les enfants, qui nous préoccupent au premier chef, ont besoin d’être intégrés, et éduqués, pas d’être amalgamés à des terroristes en herbe. Si nous cédons à cette tentation, ce sont nos dents et celles des générations à venir qui en seront agacées. Avec l’AMEJDAM, nous serons vigilants car, sur une note plus humoristique, à l’amalgame nous préférons l’agrégation à l’université !

M. comme marche : C’est un samedi lumineux, nous rapporte Jacques Lefebvre-Linetzky. Les goélands volent haut dans le ciel d’azur. Une foule dense est en marche depuis le jardin Albert 1er. Une jeune femme distribue des affichettes où l’on peut lire : « Je suis Charlie ». La foule grossit à vue d’œil. Certains brandissent une affichette en hommage à Charlie, d’autres arborent des crayons ou ont jeté quelques mots sur des panneaux improvisés. La foule progresse en direction du monument aux morts. Des applaudissements ponctuent la marche, on entend « Je suis Charlie » et les applaudissements reprennent comme pour conjurer la mort des humoristes. Tout cela se fait spontanément. Devant le monument aux morts, la foule s’arrête. Lors de la minute de silence les regards se recroquevillent, les larmes ne sont pas loin, le temps semble en suspens. Et puis, c’est la Marseillaise – vibrante et glorieuse. Des voix fortes et claires chantent à l’unisson. Et puis  la foule se disperse avec difficulté. Elle est si compacte qu’il n’est pas question de rebrousser chemin, il faut continuer en direction du port et remonter la rue Cassini jusqu’à la Place Garibaldi, rebaptisée Place Charliebaldi


E. Comme enfant : Les enfants sont partout les premières victimes de la guerre, mais surtout du fanatisme. Ceux qui sont en détresse matérielle et psychologique sont repérés et endoctrinés, à la manière dont procédaient les responsables des Jeunesses hitlériennes. Entraînés, lobotomisés, ils sont ensuite envoyés au sacrifice, avec ou sans l’approbation de leurs proches. Ils sont bien moins chers à former qu’une armée, et bien plus dociles. Ce sont des marionnettes, dépersonnalisées, mais dangereuses, car prêtes à tout, ainsi que cela a été observé maintes fois. Pour s’y opposer, un seul processus, dont le nom commence aussi par un E, comme éducation. On nous dira : mais l’école est là pour cela. Certes, mais avec quels moyens ? Et puis, il ne s’agit pas seulement d’instruire ces jeunes de manière académique, mais surtout de leur permettre d’accéder à une culture populaire, de favoriser leur rencontre avec des artistes, des gens de théâtre, qui leur expliqueraient la symbolique de ce qu’ils auront découvert, c’est ce qu’explique Boris Cyrulnik. Si l’on ne donne pas de sens à l’instruction, l’échec perdurera. Même Dany Cohn-Bendit y a mis son grain de sel, en appelant les clubs de football à participer financièrement à l’effort de paix par l’éducation ! Voilà qui tiendrait enfin du miracle ! Si vous avez manqué sa prise de parole, vous pouvez la regarder ici.

Une des actions de l’AMEJDAM consiste à aller dans les écoles pour expliquer aux enfants ce qui se produit lorsque l’on laisse parler la haine et l’intolérance. Mais il faut également savoir écouter les enfants, les associer aux actions menées, et lorsque ceci se produit, le résultat est surprenant : nous l’avons vu lors de la préparation de chaque pose de plaque, y compris dans des établissements considérés difficiles. Nous continuerons dans ce sens en 2015 !


J. Comme  Juif : Certains d’entre nous ont souvent eu l’impression d’avoir été les oubliés des manifestations de la semaine dernière. Nous sommes Charlie, en effet, mais pas que Charlie. Quatre Juifs ont été assassinés à Vincennes, non pas à cause de leur coup de crayon, mais en raison de ce qu’ils étaient. Alors cela nous a rassérénés de voir des pancartes qui disaient : « Nous sommes Charlie, policier et juif ». Et aussi d’entendre de grandes voix annoncer dimanche à la télévision que la France, sans ses Juifs, ne serait plus la France. Que l’exode entamé de 7000 Juifs en 2014 était intolérable pour la République. L’information a été énoncée clairement (et pour la première fois) que, dans certains quartiers, les enfants juifs ne sont plus en sécurité dans les écoles de la République. C’est un message d’espoir, que cette prise de conscience. Il est ténu, et devra être suivi d’effets, mais c’est mieux que rien et, à cette date, réconfortant.

© Photo J.L+L

D. Comme Danger : Ainsi que l’a dit Boris Cyrulnik à Bordeaux, la situation actuelle présente un grand danger et pourrait déboucher sur un massacre. Celui, cette fois-ci, des musulmans français, trop vite assimilés à des djihadistes. Tout comme Boris Cyrulnik, Hubert Védrine nous a rappelé dimanche soir que, dans le monde, 99% des musulmans sont tués par d’autres musulmans. Le danger serait, en cédant à un désir de vengeance, d’oublier les valeurs humanistes, que l’AMEJDAM porte haut et fort dans toutes ses actions, valeurs pour lesquelles des millions d’entre nous ont manifesté le weekend dernier.
Un autre danger  nous guette :
Sur les pancartes, on n’a sans doute pas lu : « Même pas peur ! » – en revanche, on a entendu la foule scander : « On n’a pas peur ». Comme l’a si bien dit au siècle dernier le Président Roosevelt : « La seule chose qui doit nous faire peur, c’est la peur elle-même ». Face à la terreur imposée, cette devise devra à nouveau être la nôtre, en nous gardant toutefois du déni. Oui, rajoutons D, comme déni. Un déni qui nous amène trop souvent à ne pas voir en face la réalité du terrain, qui pourtant, nous est depuis longtemps pointée du doigt par les éducateurs eux-mêmes. Nous souhaitons qu’ils soient enfin entendus, et que leur œuvre éducative soit davantage aidée, sans complaisance.

A. comme arme. C’est désarmés, que nous nous trouvons, à tous les sens du terme, face aux Kalachnikov. Nous ne sommes pas habitués, en France, au maniement des armes, et nous espérons ne jamais avoir à le devenir, car ce qui se passe aux États-Unis à ce propos n’est pas enviable. De toute façon,  les innocents qui se trouvent face au canon d’une arme de guerre ne peuvent guère espérer se défendre. En revanche, une autre arme, aussi puissante, est à notre disposition  – tellement puissante qu’elle a suscité un désir meurtrier de destruction massive de ceux qui la détiennent : notre plume. Le proverbe nous dit que celle-ci est plus puissante que l’épée. La preuve en est l’artillerie que les assassins ont dû déployer pour faire taire ceux qui la maniaient avec insolence. Enfin, cette arme n’était pas vraiment une plume, mais un crayon, et ses propriétaires ne s’en servaient pas pour écrire, mais pour dessiner. Voilà ce qu’en dit Jacques Lefebvre-Linetzky, lui même adepte de l’outil :

Pour bien dessiner il faut des crayons affûtés et pour affûter un crayon il faut un taille-crayon et pour corriger les erreurs, il faut une gomme. C’est le B.A-BA du dessin, ce sont les outils indispensables. À partir de là, tout est affaire d’imagination. Le dessinateur capte l’instant et le fait vibrer. C’est ce à quoi Philippe Geluck est parvenu en faisant surgir le souvenir des attentats du 11 septembre 2001. Les tours sont devenues crayons, un avion se prépare à les percuter, un funeste nuage enveloppe les deux crayons, une nouvelle date marque ce jour d’infamie… « Le crayon n’est pas une arme nous dit Philippe Geluck, le crayon est un outil de culture ». Le chat est triste, le chat est en colère, le chat n’a pas envie de rire… Il ne faut pas ranger les crayons dans le plumier de l’oubli. 

Un autre dessin humoristique montre deux terroristes lourdement équipés d’armes à feu, en planque devant les locaux de Charlie Hebdo. Les deux ont l’air fort inquiet sous leur cagoule, et l’un des deux se tourne pour prévenir l’autre : « Attention, ils risquent d’avoir des stylos ! » La caricature est signée Matt, un humoriste anglais, dont les dessins sont publiés dans le Telegraph. Il nous fallait bien le décrire, à la radio, mais pour vous qui lisez ce blog, le voilà. 



M. comme mémoire : Notre arme à nous, c’est la mémoire. Nous la maintenons vivante, et notre outil, c’est le verbe. Le nom des victimes ne doit pas tomber dans l’oubli, c’est la raison pour laquelle il nous paraît important aujourd’hui de citer, par ordre alphabétique et chronologique, celui des dix-sept êtres humains qui ont succombé la semaine dernière sous le feu de la haine et du fanatisme :

Dans les locaux de Charlie Hebdo :

Ahmed Merabet
Bernard Maris
Bernard Verlhac
Elsa Cayat
Franck Brensolaro
Frédéric Boisseau
Georges Wolinski
Jean Cabut
Michel Renaud
Mustapha Ourrad
Philippe Honoré
Stéphane Charbonnier

À Montrouge :
Clarissa Jean-Philippe

À Vincennes :
Yoav HATTAB
Philippe BRAHAM
Yohan COHEN
François-Michel SAADA.

N.B. Si vous le souhaitez, vous trouverez ici des détails biographiques sur toutes ces victimes. 


S. Comme silence. 
JL+L souhaite clore ce billet avec une réflexion sur le silence.

On dit souvent du silence qu’il est d’or… Il est paré de vertus. On parle de majorité silencieuse, celle qui ne dit mot, mais qui n’en pense pas moins et dont les idées sont supposées être majoritaires. On fait silence, on ne dit mot. Qui ne dit mot consens… Ne rien dire, c’est se soumettre. On dit aussi du silence qu’il est assourdissant tant il est présent par l’absence qu’il signifie. On se refugie dans le silence, pour ne pas heurter, pour ne pas dire les choses. Ou alors, on les dit autrement et on se cache derrière le politiquement correct. On se fait silencieux pour ne pas se montrer. Le silence rend invisible. Et puis, lorsque le bruit et la fureur s’imposent dans un fracas tragique, on observe une minute de silence, on pense aux mots qu’on n’a pas su ou voulu dire, on pense à celles et ceux pour qui la vie est désormais silencieuse à jamais.


Cathie Fidler & Jacques Lefebvre-Linetzky.