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dimanche 14 mai 2017

GRANDIR EN ALLEMAGNE AU LENDEMAIN DE LA SECONDE GUERRE MONDIALE


Hans-Jürgen Schönhage
© Jacques Lefebvre-Linetzky

Le 9 mai dernier, j'ai reçu Hans Jürgen Schönhage à l'antenne de RCN 89.3 dans le cadre de l'émission de l'AMEJDAM, Au nom des enfants. Nous avions convenu avec Hans de parler de son enfance et de son adolescence dans l'Allemagne de l'après-guerre. 
Hans est un personnage chaleureux et attachant qui vit à Nice depuis quelques années et qui apprend le yiddish. Il s'exprime très bien en français avec juste une pointe d'accent qui me rappelle les intonations de ce formidable acteur qu'était Curd Jürgens. 

Voici l'essentiel de notre conversation: 

Présentation liminaire


Bielefeld
Image empruntée ici

"Je suis né le 3 avril 1941. J’ai grandi dans une ville industrielle, Bielefeld, c’est entre la Ruhr et Hanovre dans le Nord-Est de l’Allemagne et, au sortir du lycée, à l'âge de 19 ans, j’ai choisi la profession de professeur d’histoire et de français. J’ai étudié le français au lycée pendant 6 ans et j’ai continué après l’obtention de mon baccalauréat en 1961 –  Au lycée, j’ai fait 6 ans de français, 7 ans d’anglais et 9 ans de latin, une formation assez classique. J’avais dans ma classe le fils de notre proviseur et nous avions donc les meilleurs professeurs. 



 

Image empruntée ici

Premiers souvenirs d’enfance

Breite Straße

Breite Strasse, Bielefeld, 1945
Image empruntée ici

Je suis un pur produit de la Deuxième Guerre mondiale. Malheureusement, mes premiers souvenirs remontent aux bombardements. J’ai vu autour de nous les maisons trembler. Une fois nous étions dans la cave de la maison de mes grands-parents et ça tremblait. Ma grand-mère qui était grande s’est allongée sur moi pour me protéger et sauver ma vie. (…) Plus tard, une fois la guerre terminée, j’ai vu des soldats anglais, américains et même des soldats de couleur qui nous ont distribué leurs chewing-gums – ça aussi c’est un souvenir inoubliable.

La fin de la guerre


Bielefeld 1946
Image empruntée ici

Mon père est mort sur le front russe en 1944. Il n’y avait donc que ma mère et ce qui est remarquable, c’est que dès le lendemain de la guerre, elle a travaillé. C'était sûrement en rapport avec son éducation calviniste – il faut absolument travailler, de jour comme de nuit. Je n’ai pas senti vraiment une tristesse, un deuil après la perte de mon père. La maison où j’habitais avec ma mère n’avait pas été touchée par les bombardements. C’était une maison de trois étages qui appartenait à mon grand-père. Il était contremaître dans le bâtiment, c’était, lui aussi, un travailleur acharné dans la pure tradition calviniste. Ce n’était pas le grand deuil, on se plongeait dans le travail quotidien. 
Dans ma ville, il n’y avait pas trop de ruines. La guerre pour moi, à l’âge de 6 ans, c’était une situation assez normale. 
Il y a eu beaucoup de chômage tout de suite après la guerre. Il n’y avait pas suffisamment de travail pour tous les soldats qui rentraient une fois la guerre terminée. Il y avait à côté de nous un vieux communiste qui a survécu, je ne sais pas comment, il disait bien sûr, c’est la faute du capitalisme. J’ai retenu cette phrase sans vraiment la comprendre car je n’avais que 6 ans.

Les troupes d’occupation


Image empruntée ici

Chez moi c’étaient des Anglais, mais au début, c’étaient des Américains. J’ai appris quelques mots en anglais de cette façon en demandant du chewing-gum et du chocolat. Ils étaient très généreux et leur sourire était éclatant. La compassion qu'ils éprouvait pour nous était impressionnante. 
J’étais fils unique, gâté par ma mère qui me protégeait.

Le poids du passé


Image empruntée ici

On s’est plongé dans le travail et la reconstruction pour étouffer le souvenir du passé. Ma famille n’avait pas appartenu au parti nazi et n’éprouvait pas de sentiment de culpabilité, mais on refoulait en se noyant dans le travail.
À l’école, c’était pareil, sauf que l’on avait deux heures d’enseignement religieux chaque semaine. C’était bien sûr la religion protestante – jusqu’à l’âge de 10 ans, je ne savais pas ce que c’était qu’un catholique. J’adorais l’école, les copains ; j’étais très ouvert, très curieux. La guerre n’existait presque pas, c’était refoulé – c’est ce que j’ai ressenti.

Le choix de l'illustration musicale, 
La veuve joyeuse de Franz Lehar


Version 1963
Image empruntée ici


Pour écouter un extrait interprété par Placido Domingo et Anna Netrebko, cliquez ici

C’est une musique « kitsch », un mot allemand à l’origine, passé dans le français. C'est  une partie de mon adolescence. On cherchait en fait une forme d’harmonie qui n’existait pas suffisamment.


Un monde sirupeux

On parlait très rarement des atrocités commises pendant la guerre. Je devais avoir 17 ans lorsque j’ai vu le film d’Alain Resnais, Nuit et Brouillard. C’était à peu près tout, je sentais le vide. C’est aussi ce qui m’a poussé à entreprendre des études d’histoire pour dévoiler ce qui avait été dissimulé. Il régnait une chape de plomb que je n’ai jamais remise en question parce que je n’étais pas un élève génial. J'étais fort en histoire, mais d’une curiosité ingénue, naïve. Je sentais jour et nuit cette chape de silence.


Image empruntée ici

Vivre en France

J’étais professeur de français et d’italien et vivre à Nice me semblait aller de soi.

Le yiddish


Image empruntée ici

Je ne peux pas vraiment expliquer pourquoi j’apprends le yiddish. Ce n’est pas vraiment explicable, c’est viscéral. En tant que professeur d’histoire je vois un millénaire de culture juive allemande. C’est une langue tellement expressive, tellement créative.

La montée des populismes


Image empruntée ici


Pour moi le terme n’est pas approprié, c’est la radicalisation des réactionnaires. Ce sont les défaillances de la droite démocratique qui ne parvient pas à nous protéger de ces tendances réactionnaires. C’est vrai en France, en Autriche, en Pologne et en Allemagne. Cette situation plus ou moins générale en Europe est inquiétante. La porosité entre la droite conservatrice et la droite réactionnaire m’inquiète. Il faut que les conservateurs bloquent cette tendance réactionnaire."


Documents annexes


Kitsch:

"Si l'origine du mot est connue (apparu en Bavière vers 1870, il est entré dans la langue française près d'un siècle plus tard au début des années 1960), il est moins aisé de dater la naissance du phénomène lui-même. 
Certains n'hésitent pas à le faire remonter à l'Antiquité. D'autres, plus prudents, le voient apparaître après la Renaissance, avec le maniérisme et le baroque. Cependant, la plupart des auteurs (dont Moles, ou l'écrivain autrichien Hermann Broch) s'accordent pour situer son essor au XIXe siècle, avec le romantisme, les peintres nazaréens puis les pompiers, et surtout la production d'objets en série, qui annonce le développement de la société de consommation."

Source: Encyclopedia Universalis, Jean-Pierre Keller.

L'Allemagne occupée en 1946, Corine Defrance et Ulrich Pfeil, cliquez ici

L'heure zéro: un mythe fondateur de l'Allemagne de l'après-guerre, Niall Bond, cliquez ici

L'expression Stunde Null ou "heure zéro" dénote l'aube d'un nouvel âge politique, économique et moral, un renouveau venant de l'anéantissement du Troisième Reich. 

Entretien et mise en page: Jacques Lefebvre-Linetzky


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