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dimanche 28 mai 2017

SAINT-ALBAN-SUR-LIMAGNOLE, UN HÔPITAL PSYCHIATRIQUE À LA POINTE DE TOUS LES COMBATS



Saint-Alban-sur-Limagnole, Image empruntée ici

C’est un petit village en Haute-Lozère situé non loin de Mende. Il connut un destin tout à fait exceptionnel durant la Seconde Guerre mondiale en raison de son hôpital psychiatrique. Cet hôpital fut un laboratoire où de nouvelles méthodes furent expérimentées, ce fut aussi un refuge pour les Résistants et les Juifs et enfin, un lieu de foisonnement artistique.



L'hôpital psychiatrique de Saint-Alban, image empruntée ici

De nouvelles méthodes

En 1936, le psychiatre lyonnais, Paul Balvet, prend la direction de l’établissement et introduit des réformes pour traiter les malades de manière plus digne. Paul Balvet est en faveur d’une thérapeutique plus engagée à l’hôpital psychiatrique. Il veut donner plus d’autonomie aux malades et considère que l’hôpital psychiatrique doit être un espace d’échanges et d’ouverture. Il jette les fondements de l’ergothérapie qui consiste à donner aux malades un travail rémunéré. 
En 1942, il crée le Club, qui ensuite deviendra la « société du Gévaudan », dont l’objectif est d’organiser la vie des patients à l’intérieur et à l’extérieur de l’établissement. Les relations entre les patients et les soignants sont totalement transformées grâce à ces nouvelles méthodes. Cette approche novatrice deviendra la « Psychothérapie institutionnelle ». Cette révolution sera poursuivie et même amplifiée par François Tosquelles et Lucien Bonnafé, psychiatres et communistes convaincus.




François Tosquelles (1912-1994), image empruntée ici

François Tosquelles

En 1940, François Tosquelles, psychiatre,  réfugié catalan de la guerre d’Espagne, est engagé par Paul Balvet comme infirmier car il ne dispose pas de diplôme français. Tosquelles reprend ses études et passe avec succès ses examens pour obtenir le titre de psychiatre. Marxiste freudien, Il est convaincu de la nécessité de faire évoluer l’administration des asiles.


Lucien Bonnafé



Lucien Bonnafé (1912-2003), image empruntée ici

Lucien Bonnafé, également psychiatre, est nommé médecin-chef de l’hôpital psychiatrique de Saint-Alban en janvier 1943. Il veut faire de l’hôpital une communauté vivante et s'intéresse tout particulièrement aux réalisations artistiques des patients.


Un lieu de vie, un lieu de résistance, un lieu de création

L’hôpital est un lieu de résistance à l’ennemi. Il accueille des réfugiés, des blessés FFI, des intellectuels, des artistes, des Juifs. Paul Éluard et son épouse, Nusch ; Jacques Matarasso, photographe, Denise Glazer, future animatrice de télévision et le philosophe Georges Canguilhem.

Dès 1940, les malades assurent des travaux de jardinage et sont employés à la ferme. Les femmes font des travaux de couture et de tricotage pour les paysans du village. Les malades parviennent à survivre grâce à ces divers travaux et obtiennent une reconnaissance dont les bienfaits sont évidents.

Lucien Bonnafé est passionné par les créations artistiques des malades mentaux. Depuis longtemps, le Surréalisme fait partie de son monde. Ce n'est pas uniquement une prise de position esthétique, c'est pour lui, un engagement esthétique. 



Paul Éluard chante la liberté



Paul Éluard (1895-1952), image empruntée ici

En octobre 1942, le poème d’Éluard « Liberté » est édité, puis largement diffusé et même traduit en anglais. Éluard devient célèbre du jour au lendemain, mais cette notoriété est aussi source d’inquiétude car il est bientôt traqué pour avoir écrit ce poème.



Illustration, Fernand Léger (1881-1955), 1953, image empruntée ici


Liberté

Sur mes cahiers d’écolier
Sur mon pupitre et les arbres
Sur le sable sur la neige
J’écris ton nom
Sur toutes les pages lues
Sur toutes les pages blanches
Pierre sang papier ou cendre
J’écris ton nom
Sur les images dorées
Sur les armes des guerriers
Sur la couronne des rois
J’écris ton nom
Sur la jungle et le désert
Sur les nids sur les genêts
Sur l’écho de mon enfance
J’écris ton nom
Sur les merveilles des nuits
Sur le pain blanc des journées
Sur les saisons fiancées
J’écris ton nom
Sur tous mes chiffons d’azur
Sur l’étang soleil moisi
Sur le lac lune vivante
J’écris ton nom
Sur les champs sur l’horizon
Sur les ailes des oiseaux
Et sur le moulin des ombres
J’écris ton nom
Sur chaque bouffée d’aurore
Sur la mer sur les bateaux
Sur la montagne démente
J’écris ton nom
Sur la mousse des nuages
Sur les sueurs de l’orage
Sur la pluie épaisse et fade
J’écris ton nom
Sur les formes scintillantes
Sur les cloches des couleurs
Sur la vérité physique
J’écris ton nom
Sur les sentiers éveillés
Sur les routes déployées
Sur les places qui débordent
J’écris ton nom
Sur la lampe qui s’allume
Sur la lampe qui s’éteint
Sur mes maisons réunies
J’écris ton nom
Sur le fruit coupé en deux
Du miroir et de ma chambre
Sur mon lit coquille vide
J’écris ton nom
Sur mon chien gourmand et tendre
Sur ses oreilles dressées
Sur sa patte maladroite
J’écris ton nom
Sur le tremplin de ma porte
Sur les objets familiers
Sur le flot du feu béni
J’écris ton nom
Sur toute chair accordée
Sur le front de mes amis
Sur chaque main qui se tend
J’écris ton nom
Sur la vitre des surprises
Sur les lèvres attentives
Bien au-dessus du silence
J’écris ton nom
Sur mes refuges détruits
Sur mes phares écroulés
Sur les murs de mon ennui
J’écris ton nom
Sur l’absence sans désir
Sur la solitude nue
Sur les marches de la mort
J’écris ton nom
Sur la santé revenue
Sur le risque disparu
Sur l’espoir sans souvenir
J’écris ton nom
Et par le pouvoir d’un mot
Je recommence ma vie
Je suis né pour te connaître
Pour te nommer
Liberté.

Paul Eluard

Poésie et vérité 1942 (recueil clandestin)
Au rendez-vous allemand (1945, Les Editions de Minuit)



Gérard Philipe (1922-1959), Image empruntée ici

Pour écouter la lecture de Gérard Philipe, cliquez ici 


En novembre 1943, Éluard quitte Paris avec son épouse, Nusch. Ils trouvent refuge à Saint-Alban sous une fausse identité. Le poète est déclaré atteint d’une « névrose légère ». Durant son séjour à Saint-Alban, il écrit, entre autres, un recueil intitulé, Souvenirs de la maison des fous. Éluard découvre le tragique de la maladie mentale et il s’implique dans la réorganisation de l’hôpital.
Éluard est très actif et s'engage dans ce que l’on pourrait appeler une résistance intellectuelle. Il est aidé dans sa tâche par les frères Matarasso, Léo et Jacques.
Paul Éluard découvre également les productions artistiques des malades – dessins, sculptures, broderies.


Auguste Forestier (1887-1958)



Auguste Forestier, Eureka?, image empruntée ici

L’artiste le plus connu parmi les résidents est Auguste Forestier. Totalement fasciné par tout ce qui touche au monde ferroviaire, il provoque un déraillement en 1914 et se retrouve interné à Saint-Alban à l'âge de 27 ans. Il y restera toute sa vie.
À partir des années 1930, il abandonne le dessin, et se consacre à la sculpture. Il crée des personnages et des bêtes fantastiques inspirés par la bête du Gévaudan. Son talent est reconnu dans l’hôpital où il a un atelier. Il est en fait l’inventeur de l’Art brut, bien avant Dubuffet.
Éluard apprécie les sculptures de Forestier qui associent des têtes d’animaux à des corps d’homme. Le Surréalisme se nourrit de folie.
Grâce à Éluard et à ses amis, les œuvres de Forestier sont de plus en plus appréciées. À son retour à Paris, Éluard offre des sculptures à Picasso et Dora Maar. Jean Dubuffet découvre Saint-Alban au lendemain de la guerre et crée avec ses amis, André Breton, Jean Paulhan, Raymond Queneau et d’autres, la Compagnie de l’Art brut dont Auguste Forestier est l’un des artistes majeurs.



Auguste Forestier, Animula vagula, image empruntée ici

Un fantastique laboratoire d'idées

Le laboratoire d’idées que fut l’hôpital psychiatrique de Saint-Alban pendant la guerre fut exceptionnel. Didier Daenincks en a tiré un beau récit intitulé Caché dans la maison des fous, Bruno Doucey éditeur, 2015, dont l’héroïne est une jeune femme de 23 ans, Denise, celle-là même dont le regard intense et les silences appuyés feront les beaux jours de l’émission télévisée, Discorama.



Denise Glazer (1920-1983), image empruntée ici


Textes et documents

Le cimetière des fous

Paul Éluard (1895-1952) a écrit «Le Cimetière des fous» à l'Asile de Saint-Alban en 1943. Ce poème a été publié en 1944 dans la fresque «La Vie la nuit» faisant partie du recueil Le lit la table.


Ce cimetière enfanté par la lune
Entre deux vagues de ciel noir
Ce cimetière archipel de mémoire
Vit de vents fous et d’esprits en ruine

Trois cents tombeaux réglés de terre nue
Pour trois cents morts masqués de terre
Des croix sans nom corps du mystère
La terre éteinte et l’homme disparu

Les inconnus sont sortis de prison
Coiffés d’absence et déchaussés
N’ayant plus rien à espérer
Les inconnus sont morts dans la prison

Leur cimetière est un lieu sans raison.

Paul Éluard

L'inspiration

« L’aliénation procure cette poussée connue généralement sous le nom d’ « inspiration ». Si l’inspiration survient chez un sujet déjà artiste, c’est-à-dire en possession d’une technique, d’un métier, elle est capable de hausser l’artiste au-dessus de lui-même. Si elle survient chez un sujet inexpérimenté, elle se crée une forme à sa convenance, et reproduit presque toujours une formule d’art plus ou moins primitive. On dirait que ces artistes improvisés recommencent pour leur propre compte le chemin  parcouru par l’humanité.

Marcel Réja, L’Art chez les fous : le dessin, la prose, la poésie, Paris, Mercure de France, 1907.

Définition de l’Art brut par Jean Dubuffet



Jean Dubuffet( 1901-1985), Grand Maître of the Outsider, 1947
Image empruntée ici

« Nous entendons par là [Art Brut] des ouvrages exécutés par des personnes indemnes de culture artistiques, dans lesquels donc le mimétisme, contrairement à ce qui se passe chez les intellectuels, ait peu ou pas de part, de sorte que leurs auteurs y tirent tout (sujets, choix des matériaux mis en œuvre, moyens de transposition, rythmes, façons d’écritures, etc.) de leur propre fond et non pas des poncifs de l’art classique ou de l’art à la mode. Nous y assistons à l’opération artistique toute pure, brute, réinventée dans l’entier de toutes ses phases par son auteur, à partir seulement de ses propres impulsions. De l’art donc où se manifeste la seule fonction de l’invention, et non celles, constantes dans l’art culturel, du caméléon et du singe».

Jean Dubuffet, tiré de L’Art Brut préféré aux arts culturels, Paris, Galerie René Drouin, 1949.



Auguste Forestier, image empruntée ici


Caché dans la maison des fous, extrait:

(…) il cherche du matériel… Du bois, de la ficelle, du métal, des os de boucherie…
-       Et qu’est-ce qu’il en fait ?
-       Éluard avait réajusté son chapeau sur sa tête, relevé le col de son manteau.
-       Des jouets, des statues, des sculptures… Il réinvente un monde à partir de tout ce que rejette celui dans lequel nous vivons… Je suis allé dans l’atelier qu’il s’est aménagé dans le couloir qui fait communiquer la cour intérieure et l’arrière-cuisine. Il a bricolé un établi sur lequel sont posés ses outils. Il en a fabriqué la plupart : des couteaux, un ciseau à bois, une sorte de râpe, des clous tordus… C’est là qu’il passe la majeure partie de son temps, à produire les mêmes motifs en série : des crêtes, des ailes, des mains, des bras, des formes uniquement décoratives… Puis il les assemble au gré de son imagination, de ses envies. (…) Il y a des meubles en réduction, des animaux hybrides mi-loups, mi-poissons doté d’ailes d’oiseaux, des monstres inspirés par la bête du Gévaudan, des militaires en tenue, des rois flamboyants, des bateaux, des maisons refuges, des hommes à bec d’oiseau… 

Didier Daenincks, Caché dans la maison des fous, Bruno Doucey éditeur, 2015



Image empruntée ici

Texte et mise en page: ©Jacques Lefebvre-Linetzky



5 commentaires:

  1. Merci, Jacques, fascinant — puis ça me saisit, car le sculpteur Germano Sartelli, l’un de mes plus chers amis, disparu il y a quelques années, travaillait pendant les années soixante dans un atelier qu’on lui avait accordé à l’intérieur de l’hôpital psychiatrique provincial d’Imola. Là, il poursuivait sa propre voie, tout en partageant l’espace avec des patients internés. Ainsi, il fut l’un des pionniers de l’art-thérapie. Plus tard, j’ai rencontré plusieurs hommes et femmes qui se servent d’une approche similaire, et plus récemment, la fille d’amis, que je connais depuis sa plus tendre enfance, a opté pour une longue formation dans ce qui est devenu une discipline consacrée.
    L’hôpital de Germano était, par contre, moins éclairé qu’il ne paraît.
    Un jour, sans avertir qui que ce soit, et surtout sans consulter l’intéressé ou se soucier du bien de ses malades, le directeur de l’établissement a fait détruire toute leur production.
    J’en ai vu beaucoup d’exemplaires. Technique souvent remarquable, sens esthétique, originalité trouvée sans avoir été recherchée. Mais Germano, qui était l’un des critiques les plus sûrs, les plus sensibles que j’aie jamais eu la bonne fortune de rencontrer, m’a dit que parmi les œuvres détruites, il y avait une série de ce qu’il décrivait comme étant parmi les plus belles sculptures qu’il ait jamais vues. Et Germano, qui travaillait avec des rebuts, des déchets, vénérait Phidias et Donatello.
    Quant à son activité pendant la guerre, adolescent, cet homme a contourné les rafles qui déportaient les jeunes pour travailler dans les usines allemandes… en se portant volontaire… Ainsi, n’étant pas bien gardé, il a pu fausser compagnie aux Allemands une fois arrivé à Vérone, pour aller rejoindre les partisans…

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  2. merci Jacques pour ce blog magnifique. Bonnafé venait nous voir à Ville Evrard c'était toujours des rencontres passionnantes ainsi que le fils Tosquelles qui venait nous parler de son père et de tout ce qu'il avait institué à St-Alban. mais maintenant la psychiatrie a reculé et tout ce qui se faisait d'avant garde n'existe pratiquement plus. C'est dramatique .

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  3. J'ai eu l'occasion de travailler avec Jacques TOSQUELLAS lors de l'ouverture pionnière de l'hôpital de La capelette . Merci

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  4. le livre est en effet remarquable, d'émotion , de sensibilité, et témoigne de l'engagement de ces hommes et femmes
    j'en entendu une émission où Lucien Bonnafé parlait de son travail et de sa perception des jeunes filles anorexiques
    quelqu'un en aurait)il connaissance et pourrait il me donner les moyens de retrouver cet interview, ou des écrits sur ce sujet
    MERCI
    Françoise BALLAY, boise7@wanadoo.fr

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  5. Bonjour.... Mes grands parents travaillaient à l'hôpital... Ma gd mère infirmière et mon grand père encadrant les patients au jardin. ..

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